En ce moment cette partie du forum est très active et chacun poste ses créations littéraires, je me suis, dit pourquoi pas moi ?
Donc je vais poster ici une nouvelle que j'ai écrite cet été, sur un coup de tête et sur un PC ^^
Petit avertissement : contenu globalement neutre, mais sujet assez sensible, peut être déconseillé aux plus jeunes, et je crois qu'il y a un ou deux gros mots qui traînent, mais rien de grave non plus.
C'est parti !
_____________________________________
La Noyade des Gens Heureux.
Maxime nage. La brasse. Non coulée, il n’a pas ses lunettes de plongée et n’a pas vraiment envie d’être aveuglé par cette eau sale et salée dans laquelle il avance. Vite. La mer est un peu agitée, à 25° environ. Il vise la plateforme. L’endroit où on saute, on plonge, on bronze et où on se repose après avoir trimé pour y aller. La plage grouille, on y parle surtout polonais ou allemand, des enfants jouent, crient ou pleurent. La plateforme est à 100m exactement du bord de l’eau. C’est un carré de 5x5m constitué de 25 carrés d’1m de côté, en plastique flottant bleu, et reliés les uns aux autres. La plateforme est attachée par en dessous à une chaîne, elle-même attachée au fond de la mer, a une trentaine de mètres de profondeur, pour éviter qu’elle dérive. La plateforme, à l’image de la plage, est surpeuplée, presque proportionnellement par rapport à la plage, pourrait-on dire. Une vingtaine de personnes s’y trouvent actuellement, entre 10 et 25 ans. Les plus jeunes et les plus vieux sont au centre, ils bronzent et se reposent. La quinzaine restante est occupée à sauter, se pousser, voire se battre. On trouve parmi ces adolescents tous masculins, ce que beaucoup de gens appellent racaille, même si, contrairement à ce qu’également beaucoup de gens croient, il y a plus de « bons français bien blancs » que « de sales arabes bien bronzés » …
Maxime arrive, il est à moins de 2m du bord de la plateforme, il a la ferme intention de s’agripper et de se hisser - avec la force de ses abdos quasi inexistants – sur la tant convoitée plateforme, afin de se reposer de son hectomètre de nage épuisante. Mais la bande de jeunes bagarreurs n’a pas la même idée. Un choc violent dans son dos. Personne ne le sait, pas même lui, mais sa colonne est touchée. Il est complètement désarçonné, sonné, blessé. Il aurait besoin d’aide, de soins ! La bande rit. Un des leurs a eu la désopilante idée de lui sauter dessus, en plein dans le dos ! Ils continuent leurs jeux, sans plus lui prêter attention, et personne ne le voit couler, lentement, s’enfoncer au milieu des vagues …
Il sombre. Il a mal. Il sent la douleur dans son dos. Ne parvient pas à bouger. Il a trop mal et il ne peut pas, indépendamment de sa volonté. Il a les joues gonflées d’air, de précieux dioxygène vital. Il n’en a plus pour longtemps. Les yeux ouverts, lui qui d’habitude ne peut le faire sous l’eau, il contemple la surface, le monde, cet univers qu’il va quitter. Des jambes. Des corps. Des bulles. Qui s’agitent. De l’agitation. De l’effervescence. Il voit. Personne ne pense à lui. A la surface, le surveillant de plage n’a rien vu. Peut-être regardait-il ailleurs, peut-être draguait-il une mignonne petite touriste, peut-être s’est-il endormi, ou même peut-être a-t-il observé la scène, sans comprendre qu’une personne avait disparu … La seule chose sûre, personne ne sait que quelqu’un va mourir en ce lieu. La bande est trop occupée et trop stupide pour s’en soucier … L’air manque, il est à présent à 5m de profondeur, ses oreilles pulsent, lui font mal, la pression augmente. Il a mal, l’air lui manque cruellement. De ses yeux exorbités il contemple l’agitation de la surface et ses environs immédiats, chute, remontées, chutes, remontées, chutes, remontées … Il s’enfonce. De plus en plus. Il n’a plus d’air, ça y est. Son cerveau hurle. Il essaie d’ordonner la respiration, ouvre ta putain de bouche pour prendre la bouffée salvatrice ! Refus. Temporaire. Combat psychique. Défaite. Il ouvre la bouche, sa putain de bouche. Il aspire une énorme quantité d’eau, comme il l’eût fait si c’eût été de l’air. Il avale. L’eau salée, désagréable, galope dans l’œsophage, rentre dans son estomac, dans sa trachée, dans ses narines, dans son pharynx, son larynx et ses sinus… L’eau enfin emplit ses poumons, l’organisme déraille, la chaîne saute des pignons, il sort de route, direct dans le ravin. Coma. Dernier instant de lucidité, une chanson lui vient : «This is the End, beautiful Friend … ». Il sombre. Dans tous les sens du terme. Dix mètres. Son corps est dans une position étrange, aérienne. Du coma il passe à la mort, ça y est. Il coule, lentement, très lentement. Tout à l’heure il contemplait le triste spectacle de la vie, à présent ses yeux, ouverts, fixes, qui ne voient plus rien désormais que du noir … A moins que ça ne soit du blanc, ou du vert… Bref, une couleur unie. Mais le noir est plus probable, c’est la couleur du vide. Du vide dans lequel il sombre. Il abîme dans l’immensité du vide, into the Void. Ces yeux fixent désormais sans les voir, à jamais ouverts, l’agitation, la Vie. Toujours ces chutes et ces remontées. La Lumière aussi. Dans les eaux mortelles et bleutées des environs de la surface, les premiers mètres, le Soleil irradie, ses rayons sont distillés par les flots. Ils dansent. Lumière blanche, vaguement jaune. Chez lui, à présent à 15m, les couleurs s’estompent, le rouge a disparu, il arrive dans les ténèbres où seuls subsistent l’indigo et le violet. Un poisson passe au dessus de lui, c’est un chevesne, ou chevaine, ou meunier, c’est selon. Il regarde d’un œil vide ce corps inerte et sans vie au loin disparaître … Les faibles courants marins traversés ont encore modifié sa position, et à présent il est sur le dos, le regard toujours tourné vers la surface, la bouche ouverte bêtement, les yeux convulsés, la langue rentrée, les pupilles dilatées. Ses jambes sont légèrement tournées vers la surface, de sorte que c’est son arrière train qui touchera le sol en premier, d’ici quelques minutes. Elles sont un peu écartées l’une de l’autre, comme arquées. Ses bras sont limite christiques, perpendiculaires au tronc, déployés, comme deux ailes aussi utiles qu’utilisées et utilisables. Ses longs cheveux bruns, enfin, sont déployés tout autour de son visage, flottant paresseusement comme un bouquet d’algues brunes. Il fait très sombre.
Il touche enfin le fond. 35m exactement à cet endroit précis. Une immense étendue de fin sable blanc. La paix. Oui, du sable, car, bien qu’étant auparavant sur une plage de galets, la configuration géologique de la région fait que le fond marin est en paliers. La plage et les premiers mètres dans l’eau, jusqu’à 2-3m de profondeur, car la Méditerranée, c’est bien connu, s’enfonce très vite et très profondément, est constitué de galets, recouvrant un sable grossier, puis viennent les rochers, recouverts de mousses et d’algues, et enfin, à partir de 7m de fond, et donc une quinzaine du bord, de sable, pouvant aller du blanc en noir, en passant par l’ocre rouge, c’est selon la roche dont il provient. Notre cadavre vient donc d’emménager dans sa demeure éternelle. Il y passera les prochains millions d’années, sédimentera, fossilisera et sera peut être découvert par des paléoanthropologues dans 25 millions d’années, quand les eaux se seront retirées. Pour l’instant il découvre sa plaine, son banc de sable, son petit coin de paradis, lui qui pourtant eut mérité l’Enfer. Ici, il fait très sombre, mais la lumière continue d’éclairer faiblement, diffusément, blafardement son nouvel univers.
Dans la pénombre on distingue ses voisins, car il n’est pas seul, c’est une colocation. A quelques mètres de lui reposait en effet un magnifique squelette blanchi par les âges. Une trentaine d’années de repos en ce lieu pour nettoyer dans les moindres recoins cet homme. Cet homme d’une trentaine d’années au moment de sa mort, qui fut terrible. Autour de sa carcasse immaculée, de lourdes chaînes rouillées, enlaçant leur victime comme un serpent constricteur, embrassade, étreinte énamourée et vorace, qui ne lui avait laissé aucune chance, aucun répit, quand elle l’avait entraîné au fond des eaux amères. En complément de cette guirlande funèbre, ce triste sapin de Noël était orné de boules d’un genre nouveau et très décoratif. 15 parpaings et autres poids étaient suspendus tout autour de son tronc, saupoudrés et éparpillés avec un sens du goût exquis. Sa chute avait donc été aussi rapide que sa mort lente. Sa mort était évidemment d’origine crapuleuse : un soir de Noël, fin des années 70, 2 hommes, des ritals, l’avaient emmené ligoté dans les chaînes qu’on connaît, inconscient car assommé, dans une frêle embarcation. Arrivés là, ils avaient livré leur paquet aux clients les poissons. La noyade avait réveillé notre homme quelques instants avant de le rendormir, pour toujours cette fois. Il était tombé là, seul à l’époque, et son cadavre avait été au fil des ans nettoyé par les poissons charognards, les parasites et les éboueurs des fonds marins. Au total, il avait nourri les familles de 19 crabes, 3 requins de passage, une centaine de crevettes, 2 holothuries, et quelques vers marins. A noter également que le banquet ambulant qu’il avait constitué avait attiré tout un écosystème éphémère, comme une nouvelle garnison de caserne fait fleurir la petite ville de campagne. L’unique militaire, occupant de la caserne vierge, avait ouvert indirectement tout son tas de commerces : une boucherie, une station de lavage, un dentiste, un parc d’attraction … Les petits voyageurs de passage qui arrachaient des lambeaux sur le cadavre putréfié servaient ensuite de nourriture à de plus gros personnages, et ainsi de suite. Les rémoras et autres crevettes nettoyeuses se nourrissaient en purifiant la dentition et les branchies des émirs venus de loin pour goûter de nouveaux mets, et les éboueurs des mers purifiaient le sable en filtrant les déchets. Mais, comme la ville devient fantôme lorsque la caserne est délocalisée, comme on se vide de son sang avant de mourir lorsqu’on nous arrache une jambe, quand tout ce beau monde ne laissa qu’un squelette parfaitement blanc dans la plaine déserte, cette dernière se dépeupla, et le Las Vegas des mers ferma son unique casino.
30 ans plus tard, voilà notre homme, blanc, rongé, net, propre, qui trouve pour la deuxième fois de la compagnie. Les vestiges des vêtements qu’il portait à l’origine flottent en lambeaux, mollement, autour de lui. Il se dégage de lui une curieuse impression de sérénité cynique. Sur son crâne, ses deux orbites vides fixent l’agonie du néant avec application. Elles sont profondes. Noires. La fente triangulaire de feu son nez est un isocèle grossier coupé par la hauteur relative à sa base. Rien de plus, rien de moins. Son sourire en revanche, rêveur et triste. Ses dents blanches, aux rangs clairsemés d’une ou deux absentes, forment un rictus sardonique et paisible. Il dort. Son attelage de métal et de pierre l’a maintenu dans une étrange position. On le croirait assis. Les bras forcément le long du corps.
A quelques mètres sur sa droite se trouve sa plus ancienne voisine. Elle arriva, d’après son état, il y a 4 ans environ. Ses chairs putrides, en décomposition très avancée, n’attirent plus rien qu’une ancestrale famille de vers de mer. Sa peau est grisâtre, elle est éteinte autant que son voisin luit faiblement dans la pénombre reposante. Les vestiges d’une robe carmin déchirée planent à ses côtés. Elle est morte de son propre chef. Un soir, après avoir mûri son ressentiment dans sa tête, elle a sauté le pas. Sa mise en scène fut théâtrale. Elle partit en canot gonflable, emmenant avec elle un couteau et un calibre 45 chargé d’une balle. Arrivée suffisamment loin, elle creva le canot avec le couteau, se tira une balle dans le crâne et s’abandonna aux délices de la délivrance. Elle atterrit 35m plus bas quelques minutes plus tard, morte pourtant dès la surface. L’embarcation crevée avait dérivé et fut pêchée quelques jours plus tard sur Nice. Elle, elle s’était assoupie sur son banc. Les vautours des mers l’avaient pour un temps dépecée, mais il fut vite couru au fond des eaux qu’avant de se faire disparaître, elle avait ingéré de l’antigel, pour ne se laisser aucune chance. Elle emporta donc dans la tombe quelques pique-assiette effrontés. Les vers qui la rongeaient, étaient affamés au point de courir le risque de la rejoindre. Son arme salvatrice reposait près de son genou droit, elle veillait. Un ver sortit de son orbite gauche. Elle pleure. Un autre du trou net dans son crâne dégarni. Ils mangent leur demeure… A présent, elle aussi dort.
Maxime arrive là, tout frais, comme un gardon, fait connaissance avec ses nouveaux compagnons de fortune, il dort déjà.
Dix ans ont passé. La morte est à présent aussi blanche et propre que le vieux parrain. Maxime n’a plus que quelques lambeaux de chairs mortes sur les tibias. Quel festin il fut ! Il attira les foules des quatre coins de la Méditerranée, des barracudas et des mérous vinrent même, et il fit le bonheur sans le savoir d’une poignée de pécheurs locaux, surpris d’attraper dans leurs filets ce genre de gibier.
La mer est calme. Profonde. Sombre. Un faible courant les berce mélancoliquement. Suffisamment tout de même pour faire frémir et s’agiter avec grâce leurs membres fins. Ils dansent.
Une anguille passe. Serpentant. Reptilienne. Solitaire. Elle est borgne, condamnée. Elle passe son chemin, portant autant d’intérêt à ce débris que lui à elle.
Dix ans plus tard, même heure, même endroit. Tout est calme. La sieste perdure depuis 50 ans pour certains, 20 pour d’autres. Une ombre. Un mouvement. Un choc sourd. Le nouveau voisin vient d’emménager. Il s’appelle Bonzo. Bonzo est un labrador. Noir, poils ras. Il a été empoisonné et jeté à l’eau par son ancien maître. Nos 3 amis ont un animal de compagnie ! Un chien, c’est le meilleur ami des hommes ! Il est beau, ne porte pas de stigmates de sa mort, le poison fut lent, mais efficace. Neurotoxique. Il fut paralysé, comme mordu par une veuve noire. Il a beaucoup souffert, mais n’a eu aucune trêve, aucune chance. No Quarter ! Il gênait, c’est évident …
Notre trio devient quatuor. Le carré est formé, le maffieux, la suicidée, Maxime et Bonzo. On dirait une famille. Calme. Sereine. Banale. Le mari, la femme, l’enfant, le chien. Ils dorment.
_________________________________
C'est une nouvelle, donc ça se termine, j'ai aéré avec des paragraphes ^^
N'hésitez pas à dire ce que vous en pensez, et soyez francs, c'est pas parce que vous avez pas aimé que je vais mal le prendre au contraire, j'ai eu beaucoup de retours positifs et c'est limite frustrant parce que je trouve ça louche ^^
