
C'est ainsi que je laisse les mois passés, regrettant peu à peu d'avoir délaissé l'écriture, qui me permettait de m'évader un peu de la monotonie quotidienne québécoise. (

C'est ainsi qu'il m'est passé à l'esprit de recommencer à écrire, cette fois quelque chose de nouveau. J'imaginais un suspense, à la fois infantin et subtilement relié à un monde imaginaire, tout en offrant à la fois un vocabulaire simple et direct. C'est ainsi que Le dé vint à mon esprit.
Je tiens à dire que je dispose légalement des droits d'auteur sur ce texte, et que j'espère qu'il vous plaira.
I
Le soleil est une comète. C’est ce que ma grand-mère m’a toujours dit lorsqu’elle me montrait le ciel. Une grande étoile où chaque personne a sa place, où la pollution n’existe pas, où le monde se porte bien. Aujourd’hui, à l’aube de mes 9 ans, je doute un peu de sa franche parole. J’ai appris à mon école ce matin que la température du soleil frôlait les milliards de degrés. En revenant chez moi, j’ai jeté un coup d’œil à la vieille photo de ma grand-mère et je lui ai dit qu’elle devait avoir chaud là où elle était. Elle était morte il y a deux ans. Quoique plutôt jeune, je n’en ai pas pour autant été peu ébranlé. Son visage, si affectueux, me manque terriblement. Ses yeux bleus, inoffensifs, couplés à son teint blanchâtre lui donnaient un air de sœur. Elle portait fièrement ses cheveux blancs, coupés courts, signe évident, disait-elle, de son immense sagesse. Mes parents me disaient de ne pas tout croire ce qui sortait de la bouche de ma grand-mère, mais je ne pouvais m’en empêcher. C’était comme un musée. Dès qu’on y entrait, on devait absolument tout voir pour pouvoir sortir. Par contre, avec ma grand-maman, la sortie était perdue tout au fond de son esprit. Ses histoires, toutes plus folles les unes que les autres, me fascinaient étrangement. Même si au fond je savais que c’était faux, il m’était impossible de dériver mes yeux de sa bouche qui murmurait calmement des anecdotes sur la première guerre mondiale, la seconde, la grande crise ou encore ses nombreux voyages autour du monde. Ma mère disait que ma grand-mère avait une maladie. Quand elle avait essayé de me dire le nom, sa langue avait fourché et je n’ai pas vraiment compris. Elle m’a dit que c’était une maladie de la mémoire, mais je ne la crois pas vraiment, car avec toutes ces histoires, ma grand-mère n’a certainement rien oublié! Noémie, c’était son nom, mais elle s’amusait souvent en disant aux étrangers qu’elle s’appelait Monique, Mireille, Anne, Lucie et plein d’autres. Il fallait toujours que mon père la sorte de sa rêverie et mentionne son vrai nom, car ma grand-mère faisait toujours ses blagues jusqu’au bout. Le jour de sa mort, mes parents et moi sommes allés dans un endroit spécial. Ma mère m’avait dit que c’était un placard pour les personnes malades. Elle dormait souvent ma grand-mère et, encore aujourd’hui, elle était couchée les yeux fermées sur un lit qui n’était pas le sien. J’étais resté avec elle alors que mes parents discutaient avec un grand monsieur qui portait un habit vert pâle. Elle n’avait pas l’air dans son assiette, mais pourtant, je voyais toujours l’éclat naturel de son visage. Deux heures plus tard, nous étions repartis chez moi. Je ne le savais sûrement pas à cette époque, mais c’était la dernière fois que je voyais ma grand-mère.
Elle m’avait légué un vieux coffre. Simple, pas trop grand ni trop petit, il était pourtant si important à mes yeux. Les motifs qui l’ornaient m’étaient devenus familiers, au nombre de fois où je les avais contemplés. Éléphants, girafes, zèbres, lions et quelques tigres, c’est ce qui couvrait tous les côtés du coffre. À l’intérieur, le duvet rouge vin protégeait amplement le sac de toile bleue qui représentait le cadeau d’adieu de ma grand-mère. Le jour où je l’avais reçu, j’étais excité, car je croyais qu’elle m’avait acheté un cadeau avant de partir vers le soleil. Il n’en était rien. Au fond du sac, j’avais trouvé un petit dé. Un dé banal, à six faces. Déçu sur le coup, il m’a fallut un bon moment avant de me rendre compte de l’importance de ce cadeau. Il était petit, mais ma grand-mère me l’avait donné avec son cœur, avec son esprit. C’était, pour moi, sa sagesse, son porte-bonheur, sa pensée. Chaque fois que je quittais la maison, j’apportais le dé de ma grand-mère. Ça me donnait l’impression qu’elle était toujours derrière moi, qu’elle me surveillait, qu’elle m’aimait encore autant qu’avant. Je pouvais passer des heures à scruter ce petit objet, à remarquer tous les détails qui l’ornaient, tous les petits défauts qui faisaient de ce dé un dé très spécial. Je ne savais pas vraiment d’où il provenait, mais connaissant ma grand-mère, il devait être unique, exceptionnel. Je vivais dans la campagne et les voisins les plus près se situaient à plusieurs kilomètres de ma maison. Mon dé était mon ami, je lui parlais et je jouais avec lui. Je conservais souvent des feuilles de papier où je notais le nombre sur lequel le dé tombait lorsque je le lançais. Les résultats me surprenaient, car peu importe la force avec laquelle je projetais l’objet, il retombait toujours sur le chiffre 6. Ça devait être un dé truqué, mais je l’aimais tout autant. J’avais d’ailleurs déjà remarqué qu’il y avait quelque chose à l’intérieur, puisque qu’un léger tintement se rendait à mes oreilles chaque fois que je l’agitais. Bien sûr, jamais il ne me vint à l’idée de le briser. Même pour tout l’or du monde, je ne l’aurais jamais fait.
II
Ce jour-là, il faisait chaud. Le soleil, d’où ma grand-mère me saluait, brillait d’un éclat aveuglant. Le dé dans la poche de mon bermuda, j’étais sorti m’amuser dans le champ derrière chez moi. C’était l’après-midi, et l’ennui me frappait comme à l’habitude telle une bonne gifle au visage. Ah, au fait, mon nom, c’est Josh. Je le dis au cas où une telle question pourrait vous venir en tête. Bref, à travers les pousses diverses, le dé maintenant dans ma main, j’avançais sans avoir de destination précise. Je laissais le vent me guider, tout en lançant le dé de ma grand-mère un peu partout. Sous un arbre, je m’étais finalement allongé, fatigué et nettement essoufflé par la chaleur accablante. J’avais laissé le dé tomber juste à côté de moi, sans pour autant l’éloigner de mon corps. J’imaginais ma grand-mère, à mes côtés, me racontant encore et encore ses histoires abracadabrantes. Elle m’aurait certainement fait rire, elle me faisait toujours rire. Son sens de l’humour était très développé, et elle était capable de redonner le sourire à quiconque ressentait la tristesse. C’est dans cet espoir que je retins mes larmes, par honneur au dé de ma grand-maman. J’ai continué à jouer avec l’objet pendant quelques heures, racontant mes mésaventures à l’image de ma grand-mère qui s’affichait devant moi. Elle me regardait, comme si elle m’écoutait avec passion, comme si chaque détail importait à ses yeux. Elle me manquait, mais j’avais l’impression qu’elle ne m’avait pas tout dit. C’était comme un pressentiment. Bien sûr, je n’avais que 9 ans, et il était évident que je n’avais pas la maturité d’un voyant, mais je sentais que quelque chose clochait. Ce n’était pas une prédiction, c’était plutôt une vision. Ce dé prenait soudainement une toute autre signification. Je ne le voyais pas, mais j’étais conscient que ma grand-mère avait fait changer quelque chose. Quoi? Je n’en avais pas la moindre idée, mais son visage scintillait moins qu’avant. Son sourire, ses yeux, tout était moins beau, moins heureux. Moi aussi, j’étais plus anxieux. J’avais comme un poids sur mes épaules, une charge de plus. Le dé avait, en l’espace de quelques secondes, changé la perspective que j’avais de lui. Le soleil tombait, et je devais rentrer. Sous cet étrange présage, je reprenais la route comme si la vie n’avait pas changée, mais au fond, rien n’était plus pareil.
Sur le chemin du retour, je n’avais pas sorti le dé de ma poche. J’avais honte de le sortir. C’en était effrayant, car il représentait tellement pour moi. Je marchais plus vite, j’avais l’impression qu’on me pourchassait, qu’on me suivait. La maison était encore loin, mais j’étais tellement motivé par le fait de sortir du champ qu’elle se rapprochait à une vitesse vertigineuse. Je ne marchais plus, je courrais. Le vent frappait mon visage, il le menaçait de son souffle puissant. J’avais froid, même s’il faisait atrocement chaud. Il faisait si sombre tout d’un coup, comme si la nuit était devenue reine du monde, comme si elle avait pris le contrôle de la planète. Où était le soleil, mon soleil, le soleil de ma grand-mère? Il avait disparu, entraînant avec lui le visage paisible de ma grand-maman. Elle n’était plus près de moi, elle était loin. J’essayais de l’atteindre, je tendais mon bras vers elle, en vain. Je l’avais perdue, elle n’était plus là. Je m’effondrais sur le sol alors que la dernière image de ma grand-mère disparaissait de mon esprit. Ma chute fit tomber le dé de ma poche, lequel roula vers une roche et s’arrêta finalement.
Il affichait le chiffre 5.
C’était impossible. Le dé de ma grand-mère ne pouvait qu’afficher le chiffre 6, c’était écrit, c’était dit. En un millier de lancers, il était impossible qu’il décide soudainement d’afficher un autre nombre. Je m’étais relevé quelques minutes après ma chute et avait constaté l’étrange phénomène. J’avais relancé le dé, plusieurs dizaines de fois, mais celui-ci affichait toujours le chiffre 5. Mon genou saignait, mais le petit objet m’obsédait tellement que la vie en perdait son sens. Ma grand-mère était revenue, mais elle était dans un état pitoyable. Elle n’était pas heureuse, comme si elle voulait me transmettre encore une fois le message que je n’avais pas compris la première fois. Son image s’affaissa alors que je remis le dé dans ma poche pour reprendre mon chemin. La maison était à quelques centaines de mètres de l’endroit où je me trouvais, et je m’étais rendu en à peine dix minutes. L’histoire n’avait pas de sens, cette journée n’avait pas de sens. Je m’étais levé, ce matin, 21 juillet de l’année 1996 avec la même sensation qu’à l’habitude. Je n’étais pas prêt à recevoir ces prémonitions, ces images, ces prévisions effrayantes de la réalité future. Le chiffre avait changé, non pas sans raison. Il voulait m’annoncer quelque chose, comme ma grand-mère. Elle était là, c’était peut-être elle dans le dé. Le petit tintement était sans doute ma grand-maman qui voulait me raconter encore et encore ses jolies histoires. Mais cette histoire n’était pas jolie du tout. Elle me faisait peur, elle me troublait. Je savais que je n’étais pas un enfant normal, que c’était évident que personne d’autre que moi ne pouvait voir ma grand-mère, mais moi je la voyais. Je n’étais pas plus stupide que les autres, ni plus intelligent, j’avais simplement la capacité d’interagir avec elle, avec son entité spirituelle. J’étais enfant unique, et mes parents travaillaient presque tous les jours, ils m’avaient donc laissés à moi-même dès mon jeune âge. Je n’avais que 9 ans, mais j’avais déjà la capacité de m’occuper de ma personne, de gérer mon temps et mes activités comme le ferait un adulte. Cependant, cette journée, je ne la gérais pas convenablement. Je ne vivais plus seulement pour vivre, je vivais pour accomplir quelque chose, mais je ne savais pas quoi. Je savais simplement que mon but avait un rapport étroit entre ce dé et ma grand-mère.
III
Chez moi, je remuais le dé dans mon lit en parlant à ma grand-maman. Celle-ci semblait épuisée. On aurait dit que la journée passée l’avait en quelque sorte extirpée de son paradis solaire. Sous son visage qu’elle voulait positif, je sentais qu’elle était déçue que son petit-fils n’ait pas compris le message qu’elle voulait lui transmettre. Je ne voulais pas que ma vie change, je voulais vivre comme je vivais avant. Je voulais rire avec ma grand-mère, me promener des heures et des heures avec mon dé truqué qui affichait toujours le nombre 6. Je voulais être Josh, pas une personne spéciale qui a une mission. J’étais un simple enfant bon sang, pas la vedette d’une prophétie historique dont ma grand-mère était la messagère. Je m’en faisais trop, sûrement. Ce n’était peut-être qu’une suite de coïncidences, une simple mésaventure d’un jour. La vie m’avait tendu une embuche et j’étais tombé directement sur elle. Je devais cesser de m’inquiéter, me coucher et me réveiller demain matin comme si rien ne c’était passé la veille. Aussi dur que cela puisse paraître, j’ai finalement réussi à trouver le sommeil, mon dé à la main, près de ma grand-maman.
Le soleil, que j’appelais maintenant Noémie, pointa le bout de son nez dès mon réveil. Il était tôt, j’en étais conscient, mais la fatigue ne m’abritait plus. Sous mes couvertures, je manipulais le dé dans ma main comme si ce n’était qu’une petite brique de papier. Peut-être avais-je rêvé tout ce qui c’était passé hier? Dès le premier lancé du dé, mes espoirs se dissipaient. Il affichait encore le nombre 5. Qu’est-ce que ça pouvait représenter? Quelle intrigue se cachait derrière ce dé de bois, ce petit objet si important à mes yeux? Je ne le savais pas, mais j’étais irréprochablement attiré vers le champ. J’avais toujours envie d’y aller, et il m’était impossible de résister à ce crochet qui m’amenait peu à peu vers l’arrière de ma maison. Sans vraiment le vouloir, je m’habillais pour finalement quitter la maison, en direction du champ, l’endroit où tout pourrait peut-être redevenir comme avant. Je faisais bien attention pour faire les mêmes gestes que la veille, en surveillant bien mes points de repère. Ma grand-mère était toujours avec moi et elle semblait avoir repris l’espoir. Peut-être me dirigeais-je enfin vers la bonne voie. Couché encore une fois sur le même arbre, je reprenais ma discussion avec ma grand-mère. Le temps passait, mais rien ne se produisait. Elle me regardait avec des yeux pleins de compassion, comme si elle savait qu’il était normal que rien ne se passe. Je ne comprenais pas, mon plan semblait si logique le matin même. Une légère brise flottait dans l’air, me forçant à me replier sur moi-même. Je jouais toujours avec mon dé, mais celui-ci n’avait pas changé. C’était encore le 5. Je voulais tellement qu’il tombe sur le 6, car ce nombre représentait le bonheur pour moi, il représentait ma grand-mère, l’été, ma vie, mon espoir. Le vent soufflait fort maintenant, il poussait les feuilles mortes qui virevoltaient autour de moi. Le ciel se couvrait, il était d’un noir menaçant. J’étais frigorifié. La pluie se mettait à tomber brusquement suivie par de brusques coups de tonnerre. J’étais debout, mais je n’osais pas m’avancer vers le champ. Je n’y voyais rien, tout semblait si effrayant. Des éclairs frappaient le sol autour de moi, ma grand-mère, paniquée, me criait sans cesse de partir, de ne pas rester là. J’étais totalement paralysé par la peur. Le vent ne faisait plus qu’un avec la pluie, c’était une tornade, un raz de marée et un violent orage qui frappait la clairière. Je courrais dans tous les côtés, je ne savais pas où aller, la pluie bloquait ma vision. L’arbre où j’étais fut frappé par un éclair et prit feu. Ma grand-mère pleurait, elle était effrayée. Je ne la voyais plus, elle n’était plus là, elle était sur le sol, morte, encore une fois. Son esprit était définitivement parti, je ne la sentais plus. Son soleil venait de la quitter, elle était tombée dans l’univers. Je sombrais, encore une fois, dans une inconscience profonde et effarante au milieu de cette cumulation de désastres naturels.
5, le dé affichait encore le nombre 5.
Tout ça était illogique. Cette image n’était pas réelle. Autour de moi, le temps revenait sur ses pas. Je voyais défiler devant moi tous les évènements passés. L’arbre était de nouveau intact, le ciel était bleu, tout était parfaitement comme à l’habitude. Je courrais dans le champ pour m’échapper, ne voulant absolument pas revivre cette vision. Ma grand-mère me regardait comme si elle savait ce qui devait se produire. Je n’avais pas compris ce que je devais faire, mais je savais que le champ n’était plus un choix pour moi. Cet endroit m’avait, en quelques minutes, fait comprendre son désir que je retourne d’où j’étais venu. J’hésitais, mais la peur de devoir revoir ces atroces images me permettait de continuer à avancer vers l’inconnu. L’inconnu, mais surtout pas l’arbre où je m’étais reposé. Je ne comprenais pas ma quête, ma mission, mon avenir. Je savais qu’au fond le dé ne reviendrait jamais sur le 6, qu’il ne me redonnerait jamais mon bonheur. Il manquait quelque chose sur la carte de mon aventure, un indice, une piste. Ma grand-mère le savait aussi, elle savait qu’il y avait quelque chose sans quoi je ne pouvais accomplir mon destin, dont je ne savais pourtant pas grand-chose. Mon avenir était flou, mais pourtant si clair. Je ne pouvais pas le cerner directement, mais je savais qu’il impliquait une aide envers ma grand-mère. Elle m’avait donné ce dé dans un but précis. Elle savait que j’étais spécial, que j’étais le seul qui pouvait l’aider, la libérer du piège dans lequel elle souffrait.