Likjam avait finalement atteint une fenêtre. Il l'enjamba tranquilement et chercha des yeux un chemin. De préférence, un qui allait vers le haut... Alentour, les murs semblaient faits en papier calque, et le plancher en carton. Quoique, ici, il ne fallait plus s'étonner de rien. Il marcha au hasard, éliminant quatre ou cinq petits bobbles au passage. Après une demi-heure d'exploration infructueuse, il trouva un ascenceur délabré à l'aspect métallique et rouillé... Il entra, sans se méfier, appuya sur le bouton le plus haut, attendit. Rien ne se produisit. Il réessaya. Aucune réaction. L'ascenceur était à court d'énergie. Likjam quitta la cage, déçu. Il reprit sa route par un autre couloir. Peu après, l'ascenceur faisait un
clic et s'écroulait du haut du trentième étage.
" Alors, voyons voir... 4730 +
09415, le tout multiplié par 5, c'est facile, ça fait... 70725 ! "
Lorsque Sandy prononça la réponse, la porte s'entrouvrit d'elle-même, acceuillante... Igor s'avança en poussant complètement le battant, avec son regard de Rambo, mais soudain, il se figea. Son regard estomaché s'était arrêté sur quelque chose d'incroyable. Au centre de la pièce obscure, à peine poussièreuse, en suspens dans l'air, au milieu d'un rai de lumière pure, tronait une spendide carotte. Bien lisse et bien orange. La sienne. Il l'aurait reconnue entre mille. Son nez...
Emu, les yeux fixes et ouverts, il marcha précautionneusement jusqu'à elle, et la saisit délicatement. Il avait enfin retrouvé son nez. Son odorat. Le milieu de sa figure. Une partie de son identité visuelle. Une partie de lui...
Dans le cadre de la porte, Sandy le regardait, heureuse pour lui. Bien sur, un bonhomme de sable n'a jamais eu besoin de carotte, mais elle se demanda pendant une seconde ce que ça pourrait donner. Un mélange bizarre des deux ? Peut-être. Sauf que, elle, il lui semblait qu'elle entendait toujours ce drôle... d'
appel silencieux, comme Igor disait. C'était aigu, ça s'addressait à
elle. Elle entra à son tour et se dirigea vers un coin sombre. L'appel s'intensifiait. Les ténèbres environnantes au fond de la pièce cachaient une sorte de petite table de chevet, ronde, qui sentait bon l'ancienneté. Elle était munie d'un tiroir. Lorsque Sandy posa la main sur la poignée, l'appel se tut complètement. Elle tira. Il y avait une écharpe à l'intérieur... Sandy la toucha doucement. Elle était douce et fraiche, comme celle qu'elle avait avant. Elle la prit à deux mains, et elle décida de la garder.
Elle l'enroula autour de son cou, et se sentit immédiatement libérée d'un poids dont elle n'avait jamais remarqué combien il était lourd.
Après l'instant de béatitude heureuse, Igor fut saisi d'un doute. Il avait tellement peur de perdre sa carotte à nouveau. C'était un bout de son propre corps, et il y tenait autant qu'à Sandy, qu'à ses amis Carotteux, qu'au village de Hammerfest... Le vilage... Il lui semblait si loin aujourd'hui. Sa vie paisible commençait à lui manquer. Sa maison, son petit jardin, ses voisins, son frigo... Une grosse boule allait se former dans sa gorge, une boule de nostalgie, mais il revint vite à l'instant présent.
Il cacha la carotte à l'intérieur de son ventre neigeux, comme une poche corporelle. Ici, même si elle n'était pas sur son visage, elle serait à l'abri pour toujours...
