Pendant ce temps, au village de Hammerfest, tout près du puits qui conduisait aux cavernes... Une banane se réveillait. Il (c'était une banane-garçon) répondait au nom de Jokari. En ouvrant les yeux, la première chose qu'il vit, ce fut le ciel gris et nuageux. Sa peau sentit de l'herbe sous lui. Il entendit le vent qui courait entre les maisons et les troncs d'arbres. Il était dehors. Couché au beau milieu de la place centrale. Il se releva en regardant les alentours. Des brides de souvenirs incertains lui revenait en tête : la masse verte qui lui avait bondit dessus par surprise, l'hypnose, la puissance supérieure qui l'avait tranformé en Jokari amélioré, la masse verte à l'intérieur de son esprit qui l'avait forcé à attaquer les autres fruits, puis Igor, la poursuite sur les toits et la façon dont il s'est bêtement fait pièger. Il marcha dans tout le village, la bibliothèque, la mairie, la salle des fêtes, le bar... et ne vit personne. A tout hasard, il revint à la grande place et appela. L'écho de sa voix se perdit au loin avec pour seule réponse le coassement d'un corbeau de passage. Où étaient-ils tous partis ?
" Au fait, Sandy, il te reste combien de vies ?
- Deux. Et toi ?
- Pareil...
- Ah, regarde, on arrive quelque part."
Nouvelle contrée : Mana Karma Shakra" C'est vraiment le nom de cet endroit ?!
- Faut croire..."
Devant eux s'étendait un hall aussi grand que les Galeries Lafayette à Paris. La fontaine aux reflets de marbre qui trônait au centre représentait un renard hurlant comme un loup, un filet d'eau jaillissant de sa bouche et faisant trois fois le tour de la statue avant de se verser dans le bassin à même le sol. Magie décorative, sans doute... Du lierre épais courait sur le sol et les murs. Sur le mur à gauche, de grosses fenêtres de formes diverses (carrées, rondes, étoilées...) qui donnait sur l'extérieur. Ils devaient être au 14e étage environ. Sur la cloison loin en face, une porte de taille moyenne en verre opaque. Sur le mur à droite, une autre porte, plus proche, en bois rustique pleine d'échardes et de fissures. Sandy et Igor avançaient. Dans le hall étaient éparpillés des dizaines d'objets qui n'avaient rien à faire là : une chaussure, une guitare, une chaise renversée, des fleurs dans un vase, une fourchette plantée dans le sol, un chapeau melon... Igor marcha sur un dé à coudre. Sandy voulut écarter une table basse avec sa main mais le meuble était comme solidement collé au sol. Tous les objets avaient l'air d'être dans le même état, collés au sol, ils ne semblaient pas vouloir bouger d'un pouce.
Igor s'approchait de la fontaine. Il observa le filet d'eau qui voltigeait innocemment autour du renard, et ça le fit sourire. Il trempa ses mains dans l'onde pure et se rafraichit le visage. C'était frais. Avançant à pas de loup, Sandy poussa la porte en bois avec son index et fit un signe discret à Igor. Le genre de signe que l'on voit dans toutes les séries américaines, au moment où les agents fédéraux font entrer par effraction dans l'appartement du suspect. Dans l'entrebaillement de la porte, on apercevait un large escalier descendant lentement dans les ténèbres. Ils descendirent. Arrivés en bas, des couloirs et des barreaux à perte de vue. Des cellules. Des cages. Bref, un véritable cachot.
" Euh... dit Sandy. Cet endroit est sombre et assez lugubre... Il n'y a surement rien à voir ici. On fait demi-tour ?
- Attends...
- Quoi ?
- Chut !"
Igor tendait l'oreille. Sandy, ne comprenant pas ce qui le retenait dans ce lieu sordide, voulut dire autre chose mais Igor lui plaqua le doigt sur ses lèvres, et lui fit un regard autoritaire. Elle obéit. En écoutant mieux, Sandy entendit des voix qui se rapprochaient. Ce qui était sûr, c'est qu'elles parlaient une autre langue que la leur :
" Reza tömbré. Shiivad goh mrita.
- Potzaké ?
- Lunew fidèfidè, chouroubé Nao..."
Et ainsi de suite. Igor prit Sandy par l'épaule pour l'intimer de se cacher avec lui derrière un coin de mur. Un instant plus tard, un groupe de quatre Bobbles passait par là et remontait l'escalier en discutant. Igor lacha Sandy lorsqu'il entendit plus haut le bruit sourd de la porte se refermant difficilement. Il souffla un bon coup, se décolla du mur et continua son exploration, conscient que ces Bobbles n'avaient pas été là par hasard... Au détour d'une énième cage vide, il découvrit une cerise, non envoutée, affaiblie, enfermée à double tour dans une cellule avec d'autres fruits. Cette cerise-là, il la connaissait bien : c'était sa vieille voisine... Il courut vers elle et s'agenouilla pour arriver à sa hauteur.
" Madame Carsold ! Vous allez bien ?!
- Igor ? Mon p'tit Igor, c'est toi ? Mais... qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je pourrai vous retourner la question. Pourquoi tout le village est enfermé là ?
- Ce sont... les Bobbles déchus... Ils veulent nous posséder comme des démons."
Igor essayait d'arracher la serrure avec ses mains.
" Ils ont compris que... en alliant nos corps avec leurs esprits, ils pourraient créer des soldats surpuissants pour leur... pour leur armée. Ils veulent se servir de nous pour... envahir la planète...
- Ne vous inquiètez pas, madame, nous les en empècherons avant. Rgnnnnn..."
Cette serrure était vraiment très tenace. Sandy essaya avec ses clefs mais rien n'y fit. Une rumeur parcourait les fruits agités et même les cellules voisines comme quoi Igor était là et qu'il allait tous les faire sortir. Une voix grave partit du fond de la cage et s'approcha vers Igor en bousculant tout le monde dans un cliquetis. Le maire du village de Hammerfest. Un Bombino avec une grosse moustache brune.
" Ah Igor... Mon cher citoyen. Pas un instant je n'ai douté que tu viendrais pour nous délivrer. Tu es fantastique, mon bonhomme. Si tu arrives à nous faire sortir de ce maudit sanctuaire, je te décore. La légion d'honneur. La médaille militaire. Et même l...
- Merci m'sieur l'maire, mais pour l'instant, il faudrait déjà que je réussisse à ouvrir c'tte fichue grille !" souffla bruyamment Igor qui forçait comme un chien sur le cadenas désapprobateur.
Un quart d'heure plus tard, la serrure ne flanchait toujours pas. Elle avait plutôt l'air de tous les narguer. Igor, exténué, était sur le point d'abandonner, quand il entendit dans son dos une voix
presque familière clamer :
" Vous avez peut-être besoin d'aide ?"
